La marque du sacré de Jean-Pierre Dupuy

Publié le par Pierre Vinard

La marque du sacré

 

La marque du sacré, par Jean-Pierre Dupuy

Éditions Champs Essais, prix 9 euros, 280 pages

ISBN : 978-2-0812-3170-2

 

Les événements récents du Japon incitent à se pencher sur la pensée de Jean-Pierre Dupuy, trop méconnue en France. Polytechnicien, Dupuy s’est intéressé tout d’abord au rôle des sciences et des techniques dans nos sociétés modernes au côté en particulier d’Ivan Illich. Il a ensuite analysé dans différents ouvrages le principe du « désir mimétique » développé par René Girard et la théorie de la justice de John Rawls. Il s’est fait enfin – face à la montée des périls – l’apôtre du « catastrophisme éclairé ». L’objet de son dernier livre est de traquer la marque du sacré dans les comportements les plus actuels, alors même que notre société occidentale semble avoir refoulé toute forme de religieux (c’est ce qu’on nomme le « désenchantement du monde »). Jean-Pierre Dupuis, au prix de développements parfois difficiles à suivre, voit la marque de ce sentiment du sacré ainsi bien dans la dissuasion nucléaire que dans la lutte contre le réchauffement climatique ou dans le processus électoral. Ce livre est surtout l’occasion pour Jean-Pierre Dupuy de nous faire partager son itinéraire intellectuel, foisonnant et passionnant à la fois.

 

La question la plus importante débattue dans cet ouvrage est bien entendu celle du réchauffement climatique. Comme se fait-il que face à l’imminence du danger pour l’humanité toute entière, nous restions aussi passifs ? À cette question essentielle, Jean-Pierre Dupuy reprend un principe développé par Martin Reeves – qui occupe la chaire de Newton à Cambridge et qui tient l’horloge de l’Apocalypse avec son compère Stephen Hawking[1] – : la propension d’une communauté à reconnaître l’existence d’un risque serait déterminée par l’idée qu’elle se fait de l’existence de solutions. Or la plupart de nos responsables ne croient pas qu’il soit possible de susciter un changement de nos modes de production et de consommation suffisant pour éviter les risques engendrés par le réchauffement climatique (le fameux seuil de deux degrés qui ferait basculer la Terre dans un processus incontrôlable). Ils préfèrent donc prendre d’autres risques, dont celui d’une guerre nucléaire ou de ravages inéluctables qui condamneraient sinon la totalité, du moins une grande partie, de l’humanité.  D’autres responsables pensent – animés d’une foi presque religieuse – que le progrès permettra de résoudre ce problème, au prix d’une révolution dans les rapports entre nature et culture, vivant et non-vivant dont ils ne mesurent pas les conséquences. Face à ces attitudes qu’il dénonce, Jean-Pierre Dupuy propose le concept de « catastrophisme éclairé ». C’est seulement en étant convaincu que la catastrophe va arriver que l’on peut espérer l’éviter, en suscitant des comportements adéquats. Aux sceptiques, Jean-Pierre Dupuy prend l’exemple de la dissuasion nucléaire, qu’il a longuement étudiée. Pour lui ce n’est pas la théorie de la deuxième frappe ou encore le mythe de la « dissuasion du faible au fort » qui ont convaincu les hommes de ne pas utiliser l’arsenal nucléaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Au contraire, à  tout moment la bombe aurait pu être utilisée par l’une ou l’autre des grandes puissances. Mais c’est justement cette proximité avec la catastrophe qui a instillé dans l’esprit des responsables l’idée d’une menace absolue, imperméable à la rationalité, à la logique, au principe de réciprocité, et qui par là-même a permis d’éviter l’usage de la bombe. Et c’est au même sentiment presque « transcendant » – car s’imposant de façon extérieure à l’humanité et prenant la marque du sacré – que souhaite faire appel Jean-Pierre Dupuy pour éviter la catastrophe écologique !

 

Pierre VINARD



[1] Cette « horloge » a été mise en place par des savants nucléaires en 1947 pour représenter la proximité de l’humanité avec sa destruction totale. En 1947, l’heure de l’horloge de l’Apocalypse a été fixée à minuit moins 7, c'est-à-dire à 7 minutes de la fin de l’humanité. Nous en serions aujourd’hui à 5 minutes avant minuit !

Publié dans analyses politiques

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