Et le marché devint roi !
Et le marché devint roi
Olivier Grenouilleau
Flammarion, ISBN : 978-2-0812-9001-3
Prix France : 18 euros
Historien de formation, spécialiste reconnu des traites négrières, Olivier Grenouilleau étudie dans cet ouvrage l’évolution de la place du marché dans nos sociétés, et les jugements – positifs et négatifs – que celle-ci suscite. Embrassant les siècles et les continents, il s’attache d’abord à préciser un certain nombre de termes. La notion de marché se distingue en effet de celle de l’échange, ou de capitalisme, même si évidemment les liens entre marché et capitalisme sont forts. Dans une première partie l’auteur montre combien le développement des marchés soulève de scepticisme ou même d’opposition, des philosophes grecs aux socialistes utopiques du XIXème siècle. Quand il n’est pas soupçonné d’engendrer tous les vices (la fameuse chrématistique chère à Aristote), le marché est dévalorisé par rapport à d’autres activités plus nobles (la guerre, la spéculation intellectuelle, la prière). Dans une seconde partie, Olivier Grenouilleau montre comment peu à peu certains philosophes, hommes publics ou penseurs économiques ont cherché à légitimer le rôle du marché. L’activité marchande constitue un progrès par rapport aux moyens traditionnels d’enrichissement que sont la guerre, les pillages ou le tribut exigé des populations soumises. Il contribue aux bonnes relations entre les hommes et les peuples (c’est le « doux commerce » vanté par Montesquieu). Il permet de convertir la recherche de l’intérêt particulier en progrès pour l’ensemble de la société, et il donne à l’État les moyens de son fonctionnement. L’idée émerge même que le marchand, comme dans n’importe quel métier, doit mettre en œuvre un ensemble de savoirs et de savoir-faire – ce qu’on appellerait aujourd’hui des compétences – au même titre que l’ingénieur ou l’architecte. Sans aucun doute, les professeurs d’économie et gestion apprécieront cet hommage !
La troisième partie a un propos différent. De l’aveu même de l’auteur, il ne s’agit plus simplement de discuter des opinions émises sur la place du marché dans la société et ses conséquences, mais de voir comment celles-ci sont révélatrices de tendances profondes du capitalisme, avec le développement de la sphère financière, l’expansion des rapports marchands à tous les aspects de la vie en société, la dissipation des frontières et l’affaiblissement du rôle de l’État. Contrairement au marchand, le financier ou le spéculateur international n’ont pas besoin de légitimité locale ou nationale. Ils ne se donnent aucune règle et les États peinent à leur en imposer. L’émergence du concept de « responsabilité sociale des entreprises » ou la valorisation de l’image du capitaliste traditionnel soucieux du bien-être de ses ouvriers constituent bien des tentatives pour construire un nouveau discours positif sur le marché, mais la froide logique du capitalisme financier ainsi que l’absence d’alternatives crédibles dominent.
Voilà donc un ouvrage tout à fait passionnant par l’ampleur du sujet abordé, même si on peut regretter que certains points ne soient que survolés. Mais cette mise en perspective historique et ce voyage dans les idées permettent de mieux comprendre la place essentielle que le marché tient dans nos sociétés, et l’âpreté des débats que celle-ci suscite.
Pierre VINARD