Pourquoi lutter contre les inégalités, de Jean-Fabien SPITZ

Publié le par Pierre Vinard

 

 

Pourquoi lutter contre les inégalités, de Jean-Fabien SPITZ, Éditions Bayard

ISBN : 978-2-227-48140-4, Prix : 15 euros, 243 pages

 

Dans son roman « La musique du hasard », Paul Auster raconte l’histoire de deux jeunes américains qui se rendent chez deux vieux garçons milliardaires qu’ils pensent « plumer » au poker. Mais ceux-ci se révèlent de redoutables joueurs, ruinent nos deux naïfs et les obligent pour épurer leurs dettes à construire l’immense mur d’enceinte de leur propriété, dans des conditions de travail proches de l’esclavage. Cette histoire pourrait être une métaphore de la réflexion de Jean-Fabien Spitz sur la part que l’on doit accorder à la responsabilité individuelle dans la légitimation des inégalités de revenus.

 

Le point de départ de la réflexion de Spitz est le suivant : quand des inégalités de revenus peuvent-elles être considérées comme justes ?  On connaît la conception traditionnelle de nos sociétés quant au traitement des inégalités : celles-ci sont légitimes si elles procèdent du mérite de chacun. C'est-à-dire une fois qu’une réelle égalité des chances est créée entre les individus, permettant à chacun d’exprimer ses talents. À cette vision traditionnelle on peut cependant objecter que si l’inégalité des talents est une réalité, elle ne peut totalement justifier toutes les inégalités de revenus. Le propre de la société est au contraire de corriger les conséquences patrimoniales de cette inégalité de talents, qui n’est tout compte fait que le fruit du hasard. Il est vrai que cette logique redistributive est de plus en plus contestée en invoquant un argument qu’il convient de prendre au sérieux : si on doit en effet corriger partiellement l’inégalité des talents, est-ce à la société de prendre en charge les conséquences des imprudences ou des comportements négatifs des individus ? Si l’on poursuit sur la métaphore emprunté à Paul Auster, est-il si scandaleux que cela que nos deux naïfs subissent les conséquences de leurs actes, puisqu’ils ont délibérément provoqué leurs adversaires dans une partie de poker ?

 

On reconnaît à l’invocation de la responsabilité individuelle les théories néolibérales récentes, qu’une certain social-démocratie a repris à son compte, en particulier outre-manche. Si l’on doit être favorable à l’égalité des chances, et s’il est légitime de compenser les inégalités de dotation de talents, il est en revanche normal que les gens soient sanctionnés ou récompensés selon les choix conscients qu’ils ont faits. Spitz s’inscrit en faux contre cette conception, défendue en particulier par le philosophe américain Ronald Dworkin. Et cela pour deux raisons :

 

        d’une part il est impossible de distinguer dans les actes des individus ce qui relève du hasard (c'est-à-dire de la distribution initiale des talents) de ce qui relève de la responsabilité individuelle. En effet la capacité de prendre une décision judicieuse est souvent la conséquence d’une bonne éducation, ou d’une heureuse disposition d’esprit ;

        d’autre part cette théorie ignore des principes encore plus fondamentaux qui doivent gouverner la vie en société. Et pour appuyer sa démonstration, Spitz mobilise la théorie de la justice de John Rawls.

 

En effet, pour John Rawls, deux conditions sont nécessaires pour que des inégalités soient considérées comme légitimes : la première est de créer une véritable égalité des chances entre les individus, la seconde est que les inégalités de revenus contribuent à l’amélioration de la situation des plus faibles, et qu’elles ne fassent pas obstacle à une vie autonome et digne de ces deniers. Poussant l’analyse de Rawls, Spitz défend l’idée que les inégalités dues à des différences de talents ou même de choix personnel sont légitimes si et seulement si elles ne mettent pas en cause le contrat implicite qui permet aux individus de vivre ensemble, ainsi qu’à chacun d’entre eux de mener une existence autonome et épanouie. Aux yeux de Spitz, il n’est donc pas acceptable que des hommes soient réduits à l’esclavage, y compris du fait de leur volonté. De même il est normal de demander aux plus riches, même s’ils n’ont bénéficié au départ d’aucune situation privilégiée, de contribuer par l’impôt à l’amélioration du sort des plus pauvres.

 

Pierre VINARD

Publié dans analyses politiques

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