L'économie des Toambapiks, de Laurent Cordonnier

Publié le par Pierre Vinard

L’économie des Toambapiks

Une fable qui n’a rien d’une fiction

Laurent Cordonnier

Raisons d’agir, 8 euros, 234 pages

ISBN : 978.2.912107.52.7.

 

Voici un livre que tout didacticien de l’économie aurait aimé écrire, tant il offre l’occasion de saisir simplement – sous la forme d’une fable – un certain nombre de mécanismes économiques essentiels, qui mènent d’une économie de subsistance à une économie financiarisée et sujette aux crises.

 

Lorsque Happystone – jeune et brillant économiste du MIT– débarque à Cetouvu, l’économie des habitants de l’île – les fameux Toambapicks – est caractérisée par la monoculture du tubercule de taro, ainsi que la coexistence de deux classes sociales, les propriétaires terriens et les travailleurs. Le seul élément de complexité est la productivité différente des 20 hectares mis en culture. Le niveau des salaires (4 kilogrammes de taros par travailleur et par semaine) est le résultat d’une cérémonie d’enchères inversées appelé « walras ». Ainsi se fixe un salaire d’équilibre qui permet d’embaucher 20 travailleurs pour mettre en culture les 20 parcelles et atteindre la production vertigineuse de 100 kilogrammes de taros par semaine.

 

La mission d’Happystone est de favoriser la diversification de la production et la croissance dans cette économie d’autosubsistance. Mais si l’introduction de la patate douce, des pousses de bambous et des ignames ne pose aucun problème dans une île au sol fertile, l’organisation d’un marché de troc avec quatre produits crée des problèmes insolubles. Happystone propose donc au chef du village l’introduction d’une monnaie – le topik – et la création d’une banque centrale dont la direction sera confiée au fils du chef, Caduc. Le topik est alors gagé sur le kilogramme de taro, un kilo de taro étant équivalent à 1 topik. Chaque début de semaine, une avance de 80 topiks est faite aux propriétaires terriens afin qu’ils puissent payer leurs salariés. Puis un marché s’organise pour l’achat et la vente des différents produits, permettant à la fin de la semaine aux propriétaires de rembourser leur emprunt.


Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si les propriétaires terriens ne se sentaient pas frustrés de continuer à percevoir leurs profits en nature, et donc de ne pas pouvoir bénéficier des commodités de la monnaie. C’est là que le modèle dérape … En effet, au lieu de faire aussi l’avance des profits sous forme monétaire (prêter 100 topiks au lieu de 80), la banque centrale dans un souci d’orthodoxie financière préfère inciter les propriétaires à vendre la totalité de leur production (on se demande alors de quoi ces derniers se nourrissent, mais passons…). Face au déséquilibre de l’offre et de la demande (100kg de tubercules contre 80 topiks), les prix baissent, certaines terres ne deviennent plus rentables, les propriétaires s’insurgent[1]. Il est donc enfin décidé de faire l’avance aux propriétaires non seulement de leurs profits, mais de créer une industrie de biens d’équipement dont l’objectif est d’améliorer la productivité des terres.


On passe alors des délices d’une économie néo-classique aux dures réalités d’une économie keynésienne, où le montant de la production et des profits est déterminé par le niveau d’investissement des propriétaires, c'est-à-dire leurs espérances de profits futurs. À cela s’ajoute peu à peu le désir de consommer des classes dirigeantes, qui se concrétise par la distribution de dividendes, puis par la recherche effrénée de profits qui conduit progressivement à la stagnation des salaires et au chômage, ainsi qu’à la montée de l’endettement privé. On comprend alors que la crise des subprimes n’est pas loin…



[1] La logique du modèle néo-classique aurait voulu là que les terres non rentables soient mises en jachère, entraînant la diminution de la production, donc le rétablissement des prix, il est vrai avec une montée du chômage. Mais ce n’est pas le choix fait par Happystone...

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