Pourquoi il faut partager les revenus, de Patrick Arthus et Marie-Paus Virard

Publié le par Pierre Vinard

Pourquoi il faut partager les revenus

Patrick Artus et Marie-Paule Virard

La découverte 13 euros 182 pages

ISBN 978-2-7071-6005-8

 

Forts de leurs précédents succès aux titres « choc » (« comment nous avons ruiné nos enfants », « globalisation, le pire est à venir »), les auteurs récidivent dans un ouvrage qui se veut à la fois critique et didactique, avec pour objectif d’ébaucher des voies de sortie à la crise profonde que connaissent les économies des pays occidentaux.

 

Dans un premier chapitre, Patrick Artus et Marie-Paule Virard montrent que le salut pour les pays européens ne pourra venir des pays émergents. En effet, ces derniers deviennent de moins en moins des marchés et de plus en plus des concurrents,  y compris sur les produits « haut de gamme » qui devaient assurer la survie de l’industrie des pays développés. De plus, dans le cadre ce que les auteurs nomment un mouvement de « déglobalisation », on assiste à un recentrage des économies émergentes les plus importantes (Chine, Inde, Brésil) sur leur marché intérieur en plein développement. C’est donc en « eux-mêmes » que les pays développés doivent trouver les ressources pour surmonter les épreuves actuelles, dont le risque principal est une longue anémie, à l’image de celle que connaît le Japon depuis le début des années 90. En effet les symptômes sont proches : une crise immobilière qui entraîne une crise financière et bancaire, puis une déflation qui se traduit par une baisse des prix et des salaires, que n’arrivent pas à contrecarrer les différents plans de relance budgétaire ou bien des  politiques monétaires expansives (avec en particulier des taux d’intérêt proches de zéro).   

 

Pourquoi les politiques économiques fonctionnent-elles de moins en moins bien ? Pour les auteurs, il faut pour le comprendre remonter à l’origine de la crise actuelle. Celle-ci est la conséquence d’une multiplication des déséquilibres liés à l’épuisement des gains de productivité, à un moindre dynamisme démographique et à une évolution de la répartition salaires/profits défavorable aux salariés dans les pays développés. Dans un premier temps, ces derniers ont cherché à pallier cette insuffisance de demande globale par une politique monétaire laxiste, qui s’est traduite par une augmentation de l’endettement privé et la hausse du prix des actifs (immobiliers, actions, obligations)[1]. Le développement du crédit immobilier aux Etats-Unis par exemple, accompagné de pratiques à risques comme le développement des « subprime»[2] ou la titrisation[3], a favorisé la constitution d’une bulle « immobilière » dont l’explosion a provoqué la crise de financière de l’été 2007, avec l’enchaînement que l’on connaît : défaut de paiement des ménages, chute des prix de l’immobilier, faillite d’établissement de crédit, crise de liquidité (les banques ne veulent plus se prêter entre elles) et intervention massive des États par injonction de crédits. Ainsi l’endettement public[4] s’est substitué à l’endettement privé pour éviter l’effondrement du système bancaire et la diminution de la croissance, avec une tendance à la monétisation[5]. Le répit accordé et les messages d’autosatisfaction de nos dirigeants ne doivent pas faire illusion : aucun des grands problèmes n’est réglé. En effet, face à la pression des marchés, inquiets sur les capacités de certains États à honorer leur dette, des plans de rigueur budgétaire sans précédents sont mis en place, dont les conséquences les plus sûres seront de casser les faibles espoirs de reprise, d’entraîner un appauvrissement généralisé, un effondrement des services publics et une montée inéluctable du chômage. Sans compter la multiplication des dévaluations compétitives pour des pays qui chercheront en vain dans le commerce mondial une issue à l’anémie de leurs marchés intérieurs, et en retour une montée du protectionnisme.

 

Face à ce bien sombre tableau, les auteurs affirment que le partage des revenus est « le seul antidote à l’appauvrissement collectif » entraîné par la crise. En effet il faut retrouver les équilibres d’une croissance plus endogène, avec un rétablissement de la part des salaires dans la valeur ajoutée et une fiscalité plus redistributive. À ceux qui craignent que cette évolution mette en péril les entreprises, les auteurs montrent que l’économie ne souffre pas tant d’une insuffisance d’épargne pour financer les investissements, que d’une mauvaise orientation de cette épargne, qui ne permet pas aux entreprises de privilégier le long terme, dans le cadre d’une véritable politique industrielle. Bien entendu, cette réorientation de la politique économique ne pourra se faire au niveau de chaque État, mais dans un espace économique élargi. Pour la France, cela ne peut être que l’Europe, et en particulier la zone Euro. Mais dans un dernier chapitre, les auteurs se montrent très sceptiques sur la capacité actuelle de la zone Euro à constituer une union monétaire stable. En effet, face aux performances fondamentalement divergentes entre les pays, l’éclatement de la zone Euro leur paraît inéluctable, à moins que se développe une véritable gouvernance économique, accompagné de mécanismes de surveillance et de solidarité budgétaires.

 

À l’heure où se mettent en place dans l’ensemble des pays européens des plans drastiques de réduction des dépenses publiques qui affectent profondément les services offerts aux populations, et en particulier les plus fragiles, la lecture de cet ouvrage est particulièrement stimulante. Avec des accents que ne démentiraient pas « la gauche de la gauche », les auteurs entendent montrer le caractère injuste mais surtout inefficace de ces politiques. On reste cependant sceptique sur la capacité des Européens à surmonter leurs divergences et de mettre en place une véritable gouvernance économique. De même on peut s’interroger sur les mécanismes qui inciteraient les entreprises – sous la pression des fonds spéculatifs et face à une concurrence internationale exacerbée – à sacrifier une rentabilité à court terme en augmentant les revenus de leurs salariés ? Enfin, et même si tout cela était possible, cette relance par la demande permettrait-elle de faire face aux défis écologiques majeurs que constituent la limitation de nos ressources naturelles et le coût de plus en plus élevé  qu’implique le respect de normes environnementales minimales ? Dans sa conclusion de son dernier livre « Critique du programme de Gotha », Karl Marx écrivait : « je ne dis cela que pour sauver mon âme », comme s’il doutait in fine de la capacité du mouvement ouvrier naissant à renverser le capitalisme. N’y-a-t-il pas un peu de cela dans les derniers propos de nos auteurs, dont un de leurs livres à succès s’intitulait « Le capitalisme est en train de s’autodétruire » ?  

                                                                                                                                                                              


[1] Celle-ci a été masquée par une relative stabilité des prix sur les marchés des biens et services, d’où l’idée d’imposer aux banques centrales de suivre non seulement l’évolution des prix des biens de consommations, mais aussi celle des prix des matières premières, de l’immobilier ou les cours des actions.

[2] Prêts à risques, surtout destinés à l’acquisition de biens immobiliers par les catégories sociales modestes, en particulier aux Etats-Unis.

[3] La titrisation consiste à regrouper dans un même actif des créances de nature différente, avec des risques attachés très variables. Ces actifs sont revendus ensuite par les prêteurs de premier rang à des investisseurs à la recherche de placements financiers à haut rendement. Mais l’acheteur n’a pas conscience du niveau de risque qu’il acquiert, ce qui crée un phénomène d’aléa moral au profit du prêteur de premier rang (une prise de risque non assumée).

[4] Il est juste de dire que l’endettement public ne date pas de 2008, et qu’il a été rendu possible par l’excédent structurel de la balance commerciale chinoise. Les banques chinoises ayant accumulé de formidables réserves en dollars, elles ont naturellement acheté des bons du Trésor américains, qui restent le placement le plus sûr actuellement (voir note sur « Les pays du Sud face à la crise »).

[5] La monétisation consiste à faire financer la dette publique, directement ou indirectement, par les banques centrales, ce qui revient à la création ex-nihilo de monnaie (ce que dans une mauvaise image les Français appellent « la planche à billets » et que les Anglais – plus fins économistes – qualifient de « with the pencil »).

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