Petit traité de la décroissance sereine, de Serge Latouche

Publié le par Pierre Vinard

Petit traité de la décroissance sereine

Serge Latouche

Editions Mille et une nuits - Les petits libres n°70

ISBN 978 – 2 – 75550-007-3  172 pages Prix : 3,50 euros

 

Dans ce court et peu onéreux ouvrage, un des apôtres de la « décroissance » - Serge Latouche – résume le projet politique de ce courant écologique taxé souvent de « radical »[1]. Après un constat relativement classique sur les limites physiques de la croissance économique, les impasses actuelles du développement dans les pays du Sud et les ambiguïtés de la notion de « développement durable », Serge Latouche décrit les modalités d’un autre rapport à notre environnement, qui passerait par la mise en place – et quelquefois le retour – de technologies plus « propres », une relocalisation des activités de production, et surtout une décolonisation des esprits face à la société de consommation et ses mirages. Serge Latouche est persuadé que l’on peut vivre mieux en travaillant moins, en consommant autrement, en privilégiant les rapports de proximité et les échanges interpersonnels. Comment arriver à cette société idéale ? Par une évolution des mentalités, par une inversion des priorités, par un effet d’apprentissage et de contagion dans le cadre d’activités alternatives. Et l’auteur en voit les prémices dans les multiples initiatives des associations de consommateurs, des agriculteurs « bio », des militants anti-nucléaires ou des communautés villageoises du Tiers-monde. Nous avons là tous les éléments d’une utopie, mais d’une utopie qui se veut « concrète » et qui constitue pour l’auteur la seule en mesure de sauver le monde des périls qui le guettent.

 

Le développement des énergies renouvelables, la sortie progressive du nucléaire, la réduction des temps de transports des personnes, la mise en place d’une fiscalité écologique, une certaine forme de protectionnisme sont au programme de beaucoup de mouvements écologiques « institués ». La question qui se pose donc tout le long de cet ouvrage est la pertinence du terme « décroissance ». Car la « transition » vers la nouvelle organisation qu’appelle de ses vœux Serge Latouche nécessitera des investissements importants, et devra forcément se traduire par une certaine forme de croissance, caractérisée il est vrai par un contenu différent, et que l’on pourra mesurer grâce à des indicateurs nouveaux[2]. À moins de prôner une récession économique, qui serait socialement comme écologiquement totalement insupportable ! Dans cette perspective, le terme de « décroissance » paraît particulièrement mal adapté, ce que reconnaît d’ailleurs Serge Latouche au détour d’une page[3].

 

L’intérêt du livre n’est donc pas dans l’exposé de ces thèses – largement connues – mais dans l’écho que donne l’auteur à une querelle relativement récente sur les fondements de la pensée écologique « radicale »[4]. La conviction des tenants de la décroissance constitue-t-elle une nouvelle forme d’antihumanisme, aux antipodes de la pensée des Lumières, pour qui l’espèce humaine est considérée comme une espèce comme les autres, dont le rôle et même la place sur Terre pourraient être contestés ? S’agit-il  d’une remise en cause du rêve prométhéen de conquérir la nature au profit de l’homme ? N’assiste-t-on pas tout compte fait de la résurgence d’une vieille idéologie réactionnaire et anti-démocratique, qui risque de verser dans l’autoritarisme au nom de la préservation d’un environnement mythique ? On peut le penser parfois : ainsi lorsque l’auteur  propose de faire voter par une assemblée le nombre de paires de chaussures nécessaires aux membres de la communauté[5] !

 

Serge Latouche n’esquisse pas ce débat, en particulier à la fin de son ouvrage, mais il paraît bien embarrassé : « Doit-on nécessairement choisir entre écocentrisme et anthropocentrisme, entre humanisme et antispécisme, entre relativisme absolu et universalisme dogmatique, entre modernité et tradition ?  Comment échapper à ces vieux débats interconnectés, récurrents et finalement indécidables ?[6] », écrit-il. S’il est évidemment compréhensible de dénoncer une certaine forme d’ethnocentrisme – qui voudrait que le modèle économique occidental soit le seul pertinent – et une exploitation désordonnée, prédatrice et mortifère de la nature, il est des arbitrages moraux et pratiques que pose la survie d’une humanité de six milliards d’individus (on pense aux pandémies, à l’approvisionnement des grandes villes, à l’élimination des déchets, aux catastrophes naturelles) qui rendent inéluctables une certaine forme « artificialisation » de notre environnement, et le recours à des technologies particulièrement performantes et onéreuses.  Et de cela, Serge Latouche n’en dit pas un mot !

 

Pierre VINARD



[1] Nous utilisons ce terme à dessein pour caractériser la démarche de Serge Latouche, qui doit être distinguée de l’écologie « profonde » de certains mouvements nord-américains, qui dénient tout droit à l’homme d’exploiter la nature et les autres espèces vivantes.

[2] Voir l’ouvrage de Dominique Méda : « Au-delà du PIB », ou celui plus ancien de Patrick Viveret « Reconsidérer la richesse ».

[3] Page 22

[4] On peut citer l’ouvrage désormais classique de Luc Ferry « Le nouvel ordre écologique », Grasset, 1992 ou bien le petit pamphlet de Sylvie Brunel « à qui profite le développement durable ? » publié chez Larousse. La dénonciation de cette idéologie est l’argument d’un roman à suspens récent de Jean-Christophe Rufin « Le parfum d’Adam » publié chez Flammarion en 2007 (et réédité par Folio).

[5] Page 86. Il s’agit en fait d’une « proposition » de l’économiste Murray Boockchin que l’auteur semble reprendre à son compte en la citant !

[6] Page 148

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