une brève histoire de l'avenir de Jacques Attali

Publié le par Pierre Vinard

Une brève histoire de l’avenir
Jacques Attali, éditions Fayard 2006
 
L’oxymore du titre ne doit pas effrayer les lecteurs. D’une part parce que la partie historique de l’ouvrage est tout aussi importante que la partie prospective. D’autre part parce que cette dernière évite les écueils d’un optimisme béat (la mondialisation heureuse…) et d’un catastrophisme millénariste. Il n’est pas nécessaire de présenter l’auteur, conseiller de deux présidents de la République et essayiste prolifique, un temps dirigeant controversé d’une grande institution financière et désormais apôtre de la micro-finance. En revanche il est intéressant d’analyser la démarche suivie,  éclairante et stimulante. Dans une première partie, Jacques Attali dresse une histoire du capitalisme, en décrivant avec précision sa logique, ses lignes de force et sa dynamique. Il montre comment l’économie-monde s’est organisée à travers les siècles autour de neuf « cœurs » – correspondant à neuf formes successives du capitalisme – que l’on peut associer à chaque fois à une ville : Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York, et aujourd’hui Los Angeles. Ce qui permet à un « cœur » de s’affirmer, c’est le dynamisme de ses élites, la maîtrise des nouvelles technologies, une position stratégique au niveau des transports, un arrière-pays important qui constitue à la fois une réserve de main d’œuvre et un marché. On remarque qu’aucune ville française n’a constituée un « cœur » au cours de cette histoire du capitalisme, malgré les hésitations de l’Histoire. La seconde partie est consacrée aux évolutions actuelles, prémices des changements à venir. Si la Californie reste le « cœur » du capitalisme actuel, la « marche de l’humanité » vers l’ouest se poursuit, les pays bordant l’océan Pacifique connaissant un dynamisme particulièrement important, alors même que la puissance américaine s’essouffle et que l’Europe tarde à s’organiser. Les nouvelles technologies rendent les hommes toujours plus autonomes, les capitaux et les marchandises toujours plus mobiles, et les États-nations toujours plus fragiles face à des organisations de plus en plus conquérantes : les entreprises bien sûr, mais aussi les ONG, les institutions internationales et… les organisations mafieuses ! De même la marchandisation étend chaque jour un peu plus ses ramifications au dépend des services collectifs : l’éducation, la santé, les loisirs, les « temps-morts » deviennent plus que jamais des opportunités de profit. Ainsi va émerger une période que Jacques Attali nomme « l’hyperempire ». Cette appellation ne doit pas prêter à confusion : aucun État ne sera en mesure de dominer cette nouvelle étape du capitalisme. Au contraire, la concurrence pour retenir ou attirer des entreprises et l’incivisme fiscal des plus riches réduiront sans cesse les ressources des États, incapables d’assurer leurs missions traditionnelles. Même les fonctions régaliennes, comme la justice ou la défense, se trouveront privatisées en partie. Ainsi renaîtra le temps des corsaires (les mercenaires appointés par les États ou les « honnêtes gens ») et des pirates (les sicaires des mafias planétaires). L’effacement des États rendra toujours plus vulnérables les perdants de cette nouvelle mondialisation, ceux que Jacques Attali appellent les « infra-nomades », qui ne pourront pas assurer par leurs propres moyens la couverture des risques inhérents à l’existence. Cet effacement ne contribuera pas non plus à la sauvegarde de notre environnement, de plus en plus menacé. Bien entendu cette situation ne pourra déboucher que sur une période de généralisation des conflits locaux ou planétaires – entre régions, entre organisations mafieuses, entre grandes entreprises, entre communautés religieuses –, période que Jacques Attali nomme « l’hyperconflit ». Heureusement dans le même temps émergeront des forces nouvelles, soucieuses d’équilibre écologique, de paix et de temps non marchands. Ces forces s’appuieront essentiellement sur les ONG et les institutions internationales pour faire prévaloir d’autres priorités et pour imposer des nouveaux rapports sociaux, annonciateurs de ce qu’Attali nomme « l’hyperdémocratie ». Espérons simplement qu’en décrivant cette fin optimiste, l’auteur ne reprend pas inconsciemment à son compte l’apostrophe citée de Karl Marx[1], comme s’il voulait exorciser à son tour le caractère inéluctable des forces destructrices mises en œuvre par la dynamique du capitalisme. 
 

[1] « Je ne dis cela que pour sauver mon âme », conclusion du dernier livre « Critique du programme de Gotha » rédigé par Karl Marx en 1875.
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